L’illusion entretenue par notre esprit est extrêmement profonde et puissante. Comme elle exerce sur nous une immense emprise, il est difficile de l’éliminer. Cette élimination est néanmoins le but principal de la pratique du Dharma, car la différence fondamentale entre notre état ordinaire et l’Eveil réside dans le fait que notre esprit se trouve ou non sous la coupe de l’illusion.
On peut illustrer le pouvoir de cette illusion en prenant l’exemple du rêve. Au moment où nous rêvons, nous sommes paisiblement et confortablement endormis dans notre lit, et pourtant le monde entier peut surgir devant nos yeux. Nous pouvons même voyager dans d’autres univers et y rencontrer leurs habitants. Tout peut en fait arriver en l’espace d’un songe. Par ailleurs, la « réalité » vécue dans nos rêves nous semble aussi vraie que celle que nous percevons en ce moment même.
Au réveil, on comprend que l’on a simplement rêvé, allongé dans l’espace limité d’un lit. Mais auparavant, rien ne nous permettait de voir qu’il s’agissait d’une illusion, d’un songe, d’une fantasmagorie dénuée de réalité. De même, à l’état de veille nous sommes tantôt heureux, tantôt malheureux, nous allons ici ou la, bref tout nous parait parfaitement réel et concret.
Pourtant, lorsque le voile illusoire recouvrant notre esprit se dissipe, nous voyons, comme lorsqu’on s’éveille d’un rêve, que cette « réalité » n’était qu’une fiction. Nous nous rendons compte que nous accordions au monde de tous les jours une importance et une solidité telles que son existence réelle était pour nous un fait indiscutable. L‘exemple du rêve nous permet d’entrevoir comme un être éveillé, qui s’est libéré de l’empire des illusions trompeuses, perçoit l’état de confusion dans lequel nous sommes. A ses yeux, cet état n’a pas plus de réalité que pour nous le rêve quand nous ne sommes plus plongés dans le sommeil.
Nous vivons en fait dans un rêve très long, plus long que nos songes nocturnes. Mais qu’un rêve dure quelques minutes ou une vie entière, il n’en reste pas moins un rêve. Après la mort, nous recommencerons un long rêve dans un autre monde d’existence. Ainsi se succèdent les songes aussi longtemps que l’illusion persiste.
L’extraordinaire qualité de l’enseignement du Bouddha réside précisément dans le fait qu’il nous permet de reconnaitre que ce que nous tenions pour réel n’a plus de substance qu’un rêve, que cette prétendue réalité est dénuée d’essence, qu’elle n’existe pas en soi. Nous pouvons alors comprendre le mode d’être authentique des choses, et la voie de la libération du Bouddha nous offre les moyens de dissiper notre méprise fondamentale et de réaliser l’Eveil, la libération totale de l’illusion, la bouddhéité. C’est en ce sens que cet enseignement, le Dharma, est qualifié de « plus précieux des joyaux » ; c’est la méthode suprême pour reconnaitre la nature illusoire du monde et passer de l’ignorance à la connaissance authentique.
NYOSHUL KHEN RINPOTCHE